Mots-clés
- Science, valeurs, démocratie. Gouvernance de la recherche. Participation citoyenne.
- Intégrité scientifique, responsabilité des chercheurs vis-à-vis de la société
- Pluralisme scientifique. Débat unité-pluralité des sciences. Synergies entre différents systèmes de connaissances
- Métaphysique naturalisée
- Simulations numériques
Présentation synthétique
Mes travaux de recherche relèvent de la philosophie générale des sciences, principalement de tradition analytique. Un double souci anime ces recherches, en continuité avec ma double formation, en science et en philosophie : porter, d’une part, une attention soutenue et précise à la réalité des pratiques scientifiques contemporaines et, d’autre part, aborder des problématiques de nature éthique et politique soulevées par les interactions entre le monde de la recherche et d’autres composantes de la société.
Un premier domaine de recherche a été celui de l’analyse des situations de pluralité en science et des synergies possibles entre les différentes branches des sciences. Concernant cette problématique du pluralisme scientifique, j’ai défendu plusieurs thèses (Ruphy 2003, 2005, 2006, 2016), notamment : défense du caractère interne aux sciences des débats sur la réductibilité ou l’irréductibilité d’une théorie à une autre et appel à l’abstinence métaphysique dans de tels débats ; proposition d’une forme « feuilletée » de pluralisme ontologico-méthodologique, dont l’ambition est de saisir certains aspects essentiels des pratiques scientifiques contemporaines, à savoir le caractère transdisciplinaire et cumulatif des façons de procéder en science pour augmenter nos connaissances, ainsi que les processus d’enrichissement ontologique et l’historicité des objets scientifiques qui en résulte (Ruphy 2011).
Ces différents résultats, qui ont alimenté un ouvrage paru en 2016 à Pittsburg University Press, ont conduit en 2020 à une invitation à rédiger l’entrée « Scientific Pluralism » de la Stanford Encyclopedia of Philosophy.
Un deuxième domaine de recherche regroupe, sous l’étiquette « Science, valeurs, démocratie », des thématiques s’inscrivant sous le chapeau très général des relations entre science et société.
Mes travaux sur le rôle des valeurs en science ont porté tout d’abord sur la question de la possibilité de l’impartialité du contenu des sciences. En réaction notamment à l’influente thèse de « l’empirisme contextuel » d’Helen Longino, j’ai développé (Ruphy 2006) une vision normative « empiriste de part en part » de la pratique scientifique, dont l’objectif est d’intégrer, de façon réaliste, le rôle des valeurs contextuelles (ie culturelles, politiques, esthétiques) au cœur même du travail scientifique, tout en maintenant l’idéal d’objectivité des résultats obtenus.
J’ai ensuite travaillé sur la question de la valeur et de la définition des objectifs de la recherche dans une société démocratique, en particulier sur les principes et les processus de décision en matière de choix des grandes priorités de la recherche. J’ai d’abord offert une analyse critique de l’idéal de « science bien ordonnée » proposé par Philip Kitcher dans son ouvrage désormais de référence Science, Truth and Democracy (2001), ouvrage que j’ai traduit en français en 2010 aux Presses Universitaires de France. Des recherches en cours, débutées dans le cadre du projet ANR DEMOCRASCI que j’ai coordonné et qui s’est achevé en 2018, visent à élaborer des formes alternatives de démocratisation des processus de décision en matière de politique scientifique, tenant compte notamment de leur nécessaire articulation avec les processus de décision caractéristiques de nos démocraties représentatives. Cette enquête à la frontière de la philosophie des sciences et de la philosophie politique m’a conduite à proposer la mise en place d’un « observatoire des sujets négligés » (voir chap. 7 du rapport Soutenir la recherche impliquée en France, collectif Effiscience, 2025), qui permettrait à la science de davantage répondre à aux intérêts et besoins de l’ensemble des citoyens.
En lien avec ces problématiques, j’ai analysé les arguments avancés en faveur ou contre l’autonomie des communautés scientifiques vis-à-vis du reste de la société et j’ai proposé (Ruphy 2017) des conditions que doit respecter toute forme de limitation de l’autonomie de la recherche pour être épistémologiquement acceptable et politiquement désirable. J’ai approfondi mon étude (Bedessem et Ruphy, 2019) des contraintes et apports que peuvent et doivent fournir des considérations épistémologiques (par exemple sur le caractère imprévisible de certaines dynamiques scientifiques) quant à l’élaboration et l’évaluation de différents régimes de pilotage politique de la recherche. Ces travaux ont montré que des découvertes fécondes et inattendues peuvent tout autant, si ce n’est davantage, avoir lieu dans le cadre de recherches « inspirées par l’usage » que dans le cadre de recherches dites libres et désintéressées.
J’ai également traité des conditions de succès d’une plus grande imbrication entre le monde de la recherche et d’autres acteurs de la société, en analysant par exemple les différents bénéfices et risques épistémiques, en matière d’objectivité, découlant de la participation de non-professionnels à l’enquête scientifique, et j’ai proposé différentes actions institutionnelles pour renforcer la qualité de tels programmes de sciences participatives (Bedessem et Ruphy 2020).
Un troisième domaine de recherche, plus récent, et qui s’inscrit lui aussi sous le chapeau général « science-société », a trait aux diverses formes de responsabilités des institutions scientifiques et des chercheurs vis-à-vis de la société, en particulier en matière d’intégrité scientifique (coordination du projet ANR CRISP, en cours) ou d’éthique de la recherche. Les multiples interactions que j’ai pu avoir pendant quatre ans avec différents responsables institutionnels dans le cadre de mon mandat de directrice de l’Ofis (Office français d’intégrité scientifique) vont nourrir mes travaux de recherche en la matière. J’ai en effet pu identifier un certain nombre de problématiques qui pourraient bénéficier d’un éclairage philosophique. En voici deux exemples. Si le principe d’autorégulation des communautés scientifiques en matière de prise en charge de problème d’intégrité scientifique doit être défendu, quelles responsabilités particulières en découlent pour les institutions scientifiques, que ce soit à l’échelle nationale ou à l’échelle locale des établissements ? Ou encore, dans quelle mesure les exigences en matière d’intégrité scientifique ou d’éthique de la recherche entrent-elles en tension, ou au contraire fondent-elles la liberté académique ?
Dans ce cadre, je m’intéresse également aux tensions éventuelles entre certaines formes d’engagement politique des chercheuses et chercheurs et des attentes traditionnelles à l’égard de la science dans une démocratie, en termes d’impartialité et de neutralité. Concernant l’expertise scientifique, qui peut être considérée comme une forme modérée d’engagement, j’ai notamment défendu la nécessité d’acter l’existence de différents rôles possibles pour l’expert dans nos démocraties et j’ai appelé en conséquence à davantage de transparence en matière de choix de tels rôles (Ruphy 2025). Sur cette thématique émergente, il est essentiel pour moi de mettre à l’épreuve mes hypothèses de travail et propositions lors d’échanges avec des chercheuses et chercheurs engagés, comme par exemple le collectif Labos1point5, à Paris Saclay lors du colloque « Sciences fondamentales et développement soutenable, que faudrait-il changer dans nos recherches ? », ou encore à l’invitation de différents laboratoires et institutions scientifiques.